Dionysos ~ Tes désirs sont mes ordres.

“Le monde est si beau. Saurai-je lui rendre hommage un jour ?”

Ce n’est ni la lumière du jour, ni les sons du monde extérieur qui effleurèrent en premier les sens de Dionysos. En vérité, bien avant même sa naissance, il avait ressenti le profond amour de sa mère qui l’enveloppait tout entier. En grandissant, il fut touché par les émotions complexes des siens, la pureté de leur cœur. Moins fort, moins agile et moins rusé que ses frères et soeurs, il souhaitait plus que quiconque rendre hommage à la Création, ce qu’il fit en se consacrant corps et âme à son art qu’il voyait comme un parfait vecteur pour partager sa capacité à ressentir les émotions des autres.  

“Je peux les sauver. Je vais tous les sauver.”

Le premier contact de Dionysos avec les mortels fut un véritable choc. Les émotions mortelles étaient profondément imparfaites, passionnelles, motivées par l’égo et l’hubris. Il fallut à Dionysos une longue période d’acclimatation pour tolérer leur proximité et il redoubla d’efforts pour surmonter son dégoût initial. Il se sentit dès lors investi d’une mission sacrée, celle d’accompagner les mortels vers la transcendance afin que le monde retrouvât la perfection de ses premiers instants. C’est avec suffisance qu’il jaugea que les Hommes finiraient un jour par exorciser le péché de leur âme.  

“Ils se cherchent un coupable ? Très bien, je serai leur monstre.”

Sa grande œuvre prenait du retard, les mortels apprenaient lentement, régressaient dès qu’il avait le dos tourné. La patience patriarcale du dieu se mua en frustration, puis en mépris. Il était tant absorbé par le sort des Hommes qu’il ne sut pas voir en lui-même et dans les siens le mal qui les rongeaient. S’il avait compris plus tôt, alors peut-être aurait-il pu changer les choses. La visite d’un frère fut l’électrochoc tardif qui le poussa à abandonner les Hommes et à retourner en hâte chez les siens pour les prévenir. Il fut horrifié de constater à quel point le péché les tenait déjà tous entre ses griffes. La vague soudaine de décadence qu’il sentait tout autour de lui s’engouffra dans son esprit et fit sauter une à une les barrières mentales qu’il avait appris à dresser face aux mortels. Il aurait dû être celui qui guidait les siens par delà le mal, il en fut le catalyseur, le reflet cruel de l’ignominie qui infestait sa race. Aveuglés par leurs passions dévorantes, ceux qu’il appelait autrefois frères ne tardèrent pas à vouloir le saigner comme un porc, le tenant pour seul responsable de leur déchéance. Humilié, détesté de tous, les cris du dieu se muèrent en un ricanement sardonique lorsqu’il accepta enfin sa nouvelle identité.      

“Ainsi font, font, font, les petites marionnettes...”

Saisissant mieux que quiconque la nature des passions décadentes, il en joua comme d’un instrument, manipulant à tour de bras, retournant les dieux les uns contre les autres et évitant de justesse les complots qui visaient à l’éliminer. Il se faufila comme une anguille jusqu’au plus fort de la guerre et ses méthodes n’ont pas changé depuis qu’il s’est introduit clandestinement sur Amanh, à ceci près que peu connaissent désormais son identité. Il n’a eu de cesse d’éroder les figures d’autorité de l’île dans l’ombre, faisant lentement sombrer ses habitants dans le stupre et la luxure. S’il ne peut être la lumière qu’il aurait dû être, alors ils se vautreront tous dans la fange tels les porcs qu’ils sont.